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« NOUS AVONS DÛ RASSURER NOS VOISINS »

PHOTOS © P.L.C.

Séverine et Christophe Aubry démarrent un méthaniseur construit à l'échelle de leur élevage. Ils ont dû déjouer les craintes de leurs voisins qui s'inquiétaient d'un risque de nuisances.

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DANS CET ÉLEVAGE SITUÉ SUR LE BASSIN-VERSANT DU GOUËT, qui alimente la ville de Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor), l'idée de se lancer dans la méthanisation a germé en 2006. « Ce type de projet s'inscrit dans le plan de lutte contre les algues vertes », précise Christophe Aubry, l'éleveur.

Avec son système laitier spécialisé produisant surtout du fumier, il a conçu un premier projet de méthanisation par voie sèche. Il s'est heurté au refus de la banque qui doutait de la rentabilité. À l'époque, une seule installation de ce genre fonctionnait en France et l'on disposait de peu de recul.

Il a monté un second projet, par voie liquide, qu'il vient de mettre en service. « Il s'agit d'un méthaniseur propre à l'exploitation et alimenté quasiment sans apport extérieur », explique Christophe. Cet investissement répond à plusieurs objectifs. Il devrait permettre de réduire les achats d'engrais azotés de 50 % car contrairement au fumier qui n'est valorisé que sur le maïs, le digestat peut être épandu sur toutes les cultures. Il s'agit aussi de diversifier l'activité et de conforter le poste du salarié. « Nous prévoyons un revenu supplémentaire de 20 000 €par an. » Le site d'implantation se trouve à 800 m de l'exploitation, au coeur d'un îlot de 11 ha. Car l'élevage a été rejoint par un lotissement et se trouve enclavé. À terme, les éleveurs espèrent déplacer toute leur activité sur le nouveau site.

DES INQUIÉTUDES VIS-À-VIS DU BRUIT ET DES ODEURS

Lorsqu'ils ont posé leur panneau de permis de construire, Christophe et son épouse Séverine ont eu la surprise de voir la désapprobation des voisins. Certains ont appelé la mairie, s'inquiétant du bruit ou des odeurs. Du fait de sa faible dimension, le projet n'était pas soumis à enquête publique. Et parce qu'il n'utilise pas de déchets industriels, il n'a pas besoin d'une autorisation. Mais les éleveurs voulaient conserver de bonnes relations avec leur environnement.

Pour désamorcer la situation, Christophe est allé voir ses voisins. Il a organisé une réunion publique avec la chambre d'agriculture et Evalor, l'entreprise qui a réalisé le projet, afin de l'expliquer et de répondre aux questions. Il a proposé la visite d'une installation similaire en activité dans les Côtes-d'Armor. « Beaucoup sont venus et ils ont été rassurés. » Christophe a prévu d'inviter ses voisins à visiter l'installation lorsqu'elle sera lancée.

La méthanisation a été dimensionnée à 100 kW, pour tenir compte des volumes de substrats disponibles. L'éleveur voulait être autonome dans l'approvisionnement. Il utilise le fumier qu'il produit, du lisier de porc et du fumier de volaille fournis par des voisins dans le cadre d'un plan d'épandage antérieur. De plus, il cultive des Cive, un mélange de blé, triticale, avoine et vesce, qu'il a récoltés à l'autochargeuse mi-avril en vue d'alimenter le digesteur. Les besoins sont estimés à 600 t/an. Il a implanté 30 ha l'an dernier et le rendement frise les 20 t bruts par hectare. « Nous verrons comment cela fonctionne cette année et si nécessaire, nous ensilerons l'an prochain. »

« Nous concoctons la ration en fonction des intrants disponibles », précise Christophe Le Louarn, chez Evalor. Car certains produits sont saisonniers. L'entreprise suit le méthaniseur à distance afin d'ajuster la ration si nécessaire. Ce suivi est prévu dans le contrat pour un an et peut être prolongé. La mise en route s'est faite fin mars, mais le branchement sur le réseau a été réalisé à la fin du mois de mai. En attendant, le méthane produit était brûlé par une torchère. En termes de travail, l'éleveur y consacre une heure par jour. Il apporte tous les substrats dans une trémie mélangeuse qui alimente le digesteur via une vis sans fin, automatiquement toutes les deux heures. Un mètre-cube de lisier est pompé toutes les quatre heures dans la fosse pour nourrir le méthaniseur. Christophe surveille également différents paramètres (température, pH, production de gaz). « En comptant la production des Cive, le transport du fumier une fois par semaine, je ne mesure pas encore la totalité du temps nécessaire. »

ORC, UN SYSTÈME ORIGINAL

Un séparateur de phase sera utilisé pour une partie du digestat. Le liquide retournera dans la fosse. La phase solide sera exportée hors de l'exploitation. Ceci devrait représenter 200 à 300 t par an. Le reste du digestat servira à fertiliser l'exploitation. « Il s'utilise comme du lisier. La Cuma s'est équipée d'une tonne à lisier de 24,5 m3 avec une rampe à pendillards de 20 m. » Il peut donc être valorisé sur les céréales et les pâtures, ce qui était impossible avec du fumier. D'où l'objectif d'une réduction des achats d'engrais de moitié, soit une économie de 11 000 €/an.

Pour bénéficier de la prime supplémentaire liée à la valorisation de la chaleur, un séchoir multifonction a été posé. Il servira pour du foin, des céréales ou des plaquettes de bois. De plus, un système original de valorisation de la chaleur du moteur a été mis en place. Dénommé ORC (Organic rankine cycle), il est fondé sur le principe de transformation de chaleur en électricité via une turbine. Cette production devrait atteindre 5 à 7 kWh électrique. L'objectif est plus d'augmenter le rendement de la production d'électricité que de réduire la chaleur. En effet, le rendement devrait gagner environ 10 %, mais la chaleur utilisée sera restituée. Sa température sera simplement un peu diminuée.

C'est la première fois en France qu'un ORC est installé pour une unité de cette taille. Conçu par la société Enogia, ce procédé fonctionne déjà sur un élevage italien. L'Ademe a financé partiellement sa mise en place et va l'étudier afin d'acquérir des références.

Il faut compter 35 000 € pour un ORC de 10 kW. Il s'agit d'un équipement relativement simple et robuste qui nécessite peu d'entretien, en dehors du remplacement de quelques pièces d'usure. Au total, l'investissement se monte à 1 M€, sachant qu'il a fallu tout construire, y compris les stockages, et viabiliser le terrain. L'exploitation a bénéficié de 28 % de subventions (Ademe, conseils régional et général, bassin-versant). Les prévisions tablent sur un chiffre d'affaires de 170 000 € et l'annuité se monte à 90 000 €. Les prêts ont été consentis de six à quatorze ans selon les équipements.

« J'espère un retour sur investissement dans les huit ou neuf ans », précise Christophe.

Son salarié est déjà présent depuis quelques mois, ce qui a permis à l'éleveur de consacrer le temps nécessaire à ce projet. Christophe tient à préciser que les besoins en trésorerie ont été importants pendant les travaux. Cela aurait pu devenir compliqué si le prix du lait ne s'était pas bien tenu.

PASCALE LE CANN

Le digesteur est alimenté par une trémie mélangeuse que l'éleveur remplit une fois par jour.

Le lisier est pompé directement dans la fosse et dirigé vers le digesteur au rythme de 1 m3 toutes les quatre heures.

Grâce à un séparateur de phases, une partie du digestat pourra être exportée hors de l'exploitation.

Les éleveurs ont installé le méthaniseur sur un nouveau site, à 800 m de l'élevage qui se trouve enclavé dans un lotissement.

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